Le 1er congrès UC

Le congrès constitutif du Mouvement d’Union Calédonienne

 

Les 12 et 13 mai 1956, à Nouméa, près de 250 personnes assistent et participent au premier congrès de l’Union Calédonienne, parmi lesquels 125 délégués de 35 délégations régionales représentants les sections de base de Nouméa, de l’Intérieur et des Îles en formation, associés aux élus des commissions municipales issues des élections d’octobre 1954 et aux 9 conseillers généraux siégeant depuis février 1953, aux côtés de Maurice Lenormand, le député de la Nouvelle-Calédonie et des Nouvelles-Hébrides, élu en 1951, de Louis Eschembrenner, conseiller de l’Union française depuis octobre 1953 et Armand Ohlen, conseiller de la République depuis juin 1955.

 

Ils sont simples militants de base ou élus politiques accompagnés de leur famille. Ils sont autochtones mélanésiens ou représentant du petit colonat européen des côtes occidentales ou orientales de la Grande Terre. Ils sont planteurs, agriculteurs ou éleveurs. Ils sont ruraux ou citadins. Ils ont tous connus le régime de l’Indigénat, certains acteurs, d’autres bénéficiaires. La très grande majorité des participants sont natifs de l’archipel alors que d’autres ont été accueillis anciennement ou se sont installés récemment. Ils sont le cœur et l’âme de la Nouvelle-Calédonie. Ils en sont le corps social et en forment l’esprit. Un esprit où s’entremèle les spoliations foncières, les réquisitions au travail forcé, l’impôt de capitation, l’odeur de la poudre dans les tranchées de Verdun où le souvenir des ordres nazis que l’on entend au couchant dans la cuvette de Bir Hakeim au moment de la percée salvatrice. Un esprit où se superpose les échafaudages des doctrines religieuses catholique et protestante contre les murs épais de l’organisation coutumière ancestrale. Un esprit où se cotoie l’enduit des couches successives de peuplement original sur la charpente du peuple originel et colonisé et ce quelque soit les briques apportées à l’édifice: orangée et estampillée “AP” pour la colonisation pénale; en torchis pour la case isolée du colon Feillet, en agglos de corail concassé pour les demeures du patriciat nouméen. Un esprit où s’entrecroise les paroles ouatées du vieux chef prononcées sous le dôme de fumée de bois à l’intérieur de la case-palabre et les mots modernisés de consensus, dialogue, partage et intérêt commun.

 

Ces corps et cet esprit devaient à un moment ou à un autre se rencontrer, se parler, se regarder droit dans les yeux et enfin se serrer la main. C’est cela aussi le premier congrès du Mouvement d’Union Calédonienne. Le point d’orgue de la rencontre de ceux qui ne s’étaient jamais réellement rencontrés. Le point de convergence de l’héritage et de ses héritiers. La poignée de mains entre les fils et filles de colonisés et de colons. C’est cette alchimie qui fait et fera la force de l’Union Calédonienne. Un mouvement populaire à l’image de la Nouvelle-Calédonie et de ses habitants. Un mouvement fédérateur qui aurait pu ajouter aux deux-couleurs-mais-un-seul-peuple de sa devise éternelle l’union-de-deux-destins-particuliers-dans-un-avenir-commun à l’image du discours du respecté Evenor de Greslan au congrès de Tiaoué à Koné en 1963. Evenor de Greslan qui savait attiser la flamme de la langue française avec autant de finesse et de force confondues que les commandes de son Caterpillar sur les pistes minières de Thio et qui déclarait alors: “Pour être Calédonien, nous Calédoniens de souche européenne, nous n’avons pas à faire un reniement, mais à faire un renoncement: nous devons renoncer à nous comporter comme les héritiers du colonialisme. Nous devons renoncer aux vieilles habitudes de la période coloniale, aux avantages et privilèges de la position de colonisateur, nous devons nous refuser à être nous-même, les vestiges du colonialisme en terre calédonienne!”

 

La réunion a lieu sur la propriété du sénateur Armand Ohlen à la Vallée des colons, un quartier encore périphérique de la ville de Nouméa. Après le discours d’ouverture et les mots de bienvenue, la parole est donnée à Maurice Lenormand, le commissaire-général du Mouvement qui commence alors une lecture vigoureuse de son rapport d’activité générale. Il y reprend les grandes étapes de l’évolution politique de la Nouvelle-Calédonie (la surprise de l’élection de 1951, la bataille pour le collège unique, l’élection du nouveau Conseil général du 8 février 1953, l’alliance avec les syndicats) en n’omettant pas de décocher quelques flèches acérées à destination de “la vilénie et de l’hystérie calomniatrice de la presse des trusts”, “les agents du haut-commerce local, l’oligarchie économique pour qui la Nouvelle-Calédonie devient littéralement un fief privé soumis à une véritable oppression dictatoriale.” Le député de la Nouvelle-Calédonie énonce aussi les fondements de l’action politique et les objectifs du Mouvement: “l’union calédonienne que nous avons fondée n’est donc pas et ne peut pas être un parti, mais seulement l’avant-garde consciente d’un mouvement en marche, celui du jeune peuple calédonien en formation, uni dans le travail et dans l’action.” Plus loin, il poursuit: “la volonté d’une vie commune est le ciment unificateur nécessaire pour parvenir à l’unité du peuple calédonien qui est le fondement indispensable de la nouvelle collectivité calédonienne.” Enfin, les projets ne manquent pas: “mettre en valeur le territoire, donner aux intérêts du territoire et de sa population, la primauté dans l’exploitation de ses ressources minières comme facteur de la prospérité et du développement de l’île” ou encore “lutter contre les monopoles, agrandir les réserves autochtones, organiser les marchés agricoles, doter le territoire d’un système complet et cohérent de Sécurité sociale, etc.” A la fin de sa longue intervention, Maurice Lenormand traîte du régulier et singulier sujet du statut politique calédonien et annonce l’adoption prochaine de la loi-cadre Defferre relative aux réformes à mettre en œuvre et aux mesures propres à prendre pour assurer l’évolution des territoires d’outre-mer. Il conclue enfin par une envolée lyrique qu’autorise sans doute l’intensité du moment et la densité de l’assistance en liant logiquement le concept idéologique et le mouvement politique de “l’union calédonienne” dans l’édification, “avec l’aide de la France, d’un régime de justice, de liberté et de prospérité.”

 

Les travaux se poursuivent l’après-midi du samedi 12 mai et de la matinée du dimanche 13 après les cérémonies religieuses respectives. Le discours de clotûre revient à Roch Pidjot, président du Mouvement et petit-chef de la tribu de La Conception qui déclare: “Par sa représentativité et par les travaux qu’il vient de terminer, ce premier congrès de l’Union Calédonienne est un magnifique succès, une preuve irréfutable de la force et de la cohésion de notre Mouvement, une affirmation solennelle de notre volonté de poursuivre le bon combat sans défaillance pour le salut et le bien-être du peuple calédonien.”

 

C’est par cette parole qu’est déclaré clos, le congrès constitutif du Mouvement d’Union Calédonienne dont la gestation durait depuis la création des listes éponymes pour le renouvellement du Conseil général du 8 février 1953 et qui avait vu pour la première fois depuis l885, année de création de l’assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie, l’élection de 9 autochtones. Cette lente gestation s’est accompagnée durant près de 40 mois de multiples victoires électorales au niveau national et local mais l’instant déterminant est un aparté parisien, une réunion informelle dans les couloirs de l’Assemblée nationale entre Maurice Lenormand et quelques personnalités du groupe des indépendants d’outre-mer comme l’ivoirien Félix Houphouët-Boigny, le camerounais Paul Aujoulat, le sénégalais Léopold Sédar Senghor qui encouragent leur collègue et membre, a créé rapidement ce vaste mouvement populaire et fédérateur qu’il manque à la Nouvelle-Calédonie et qui serait apte à incarner les réformes et les mesures prévues par la loi-cadre Defferre en discussion. Il ne suffisait alors qu’un acte constitutif pour officialiser la naissance du Mouvement politique à la croix verte dont le drapeau fut hissé ce jour là aux côtés de l’emblème national…

 

Les statuts de l’U.C., son réglement intérieur et l’organigramme de ses premiers cadres sont établis consécutivement à son premier congrès. L’installation des sections locales a été réalisée sur une longue période de 6 ans (1953-1958), laissant ainsi le temps, à son fondateur accompagné de son équipe dirigeante, de rendre visite à toutes les tribus de Nouvelle-Calédonie afin d’y installer une section locale du Mouvement. Interrogé sur cette étape fondamentale, M. Lenormand annonce franchement: “Il fut décidé de créer des sections de base partout. Il y avait 350 tribus, il devait y avoir 350 sections de base”, avant d’affirmer qu’une seule tribu lui a “échappé” à cause de son isolement: Ouayagette, dans la haute vallée de la Hienghène, à plus de trois heures à cheval de la route côtière. C’est donc un maillage très serré qui est mis en place pour rassembler la population mélanésienne et européenne et ses milliers d’électeurs potentiels qui allaient ainsi assurer à l’U.C. une prépondérance électorale pendant près de vingt-cinq ans. Les tribus ne sont pas les seules à être visitées et les villages européens des deux côtes de la Grande-Terre auront également leur section locale, tout comme certains quartiers de Nouméa.

 

En 1956, le Mouvement d’Union Calédonienne s’affirme déjà comme une grosse structure d’où la nécessité, de la régir par des formes modernes d’organisation et de fonctionnement. Maurice Lenormand adapte localement l’esprit du système organisationnel du Parti communiste français. L’influence et l’imitation s’arrêtent là. L’intérêt avant tout est d’établir un réseau, de lancer sur l’ensemble du territoire, un filet à petites mailles qui ne laisse échapper aucun espace géographique, tribu, district coutumier, village, quartier ou chef-lieu, afin de ne laisser aucun néo-calédonien en marge des idées politiques de cette structure qui se veut avant tout, un mouvement de masse.

 

Les statuts du Mouvement sont présentés et approuvés lors du premier congrès de 1956. Ils se composent de 21 articles répartis en six parties concernant toutes les facettes de l’organisation du Mouvement. L’article 2 présente la finalité du Mouvement en ces termes: “Le Mouvement a pour but la poursuite de l’action politique, économique, sociale et culturelle […] en vue d’atteindre comme objectif fondamentaux: le développement économique et le progrès social de la Nouvelle-Calédonie au profit du plus grand nombre de ses habitants; la primauté des intérêts de la Nouvelle-Calédonie dans l’utilisation des ressources calédoniennes; des institutions territoriales, et un statut organique permettant à la Nouvelle-Calédonie de garantir effectivement sa primauté, et d’exercer réellement la liberté constitutionnelle de s’administrer elle-même et de gérer démocratiquement ses propres affaires; une République française juste et fraternelle, respectueuse des libertés et des franchises de membres qui la composent et soucieuse de défendre les principes démocratiques et la cause de la paix dans le monde; la constitution d’une Communauté française fondée sur l’égalité des droits et des devoirs, sans distinction de race et de religion et la solidarité des nations et des peuples qui la composent, la mise en commun de leurs ressources, l’assistance mutuelle et la coordination de leurs efforts, pour développer leur culture, accroître leur bien-être et assurer leur sécurité; le maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la Communauté française; le mouvement vise également à faire assurer le respect des droits et des devoirs du citoyen et l’égal accès aux fonctions publiques et aux responsabilités […], en faisant œuvre d’éducation civique et de formation politique”. Les objectifs de l’U.C. ont indéniablement un contenu généreux et progressiste auxquels adhèrent de plus en plus de Calédoniens.

 

Le chapitre sur l’organisation et l’administration du Mouvement précise les relations entre les principales instances pyramidales de la structure politique notamment, le congrès territorial, le comité directeur, la commission exécutive et les commissions périphériques: administrative et financière, disciplinaire ou de vigilance. Ainsi s’organise le cadre strictement statutaire du Mouvement auquel s’ajoute le réglement intérieur qui régit, dans le moindre détail, son fonctionnement.

 

Le réglement intérieur est un document dense et très détaillé composé de 4 chapitres regroupant 62 articles représentant le cadre de référence du Mouvement. Il y est rappelé l’importance et le rôle de la section de base, seule porte d’entrée dans l’association et pourvue de pouvoirs étendus quant à l’adhésion de nouveaux membres, notamment un auto-contrôle par cooptation qui doit garantir la qualité du groupe et surtout sa cohésion, élément indispensable et déterminant à toute action politique sur le long terme. Les droits et les devoirs des membres y sont précisés ainsi que les mesures et sanctions coercitives à l’encontre de tout membre qui enfreindrait ou ne respecterait pas la “discipline du Mouvement, l’application des consignes, l’exécution des décisions, la participation régulière et les prises de positions du Mouvement”.

 

En 1958, le Mouvement d’Union Calédonienne totalise 603 responsables dans 297 sections de bases répartis dans 58 districts coutumiers et 30 collectivités municipales. Les sections comptent plusieurs dizaines de membres chacune. L’U.C. regroupe alors environ 6000 membres, ce qui en fait la première force politique calédonienne. L’analyse de l’implantation géographique et de la composition ethnique et sociale des sections de bases démontre le caractère territorial, multiculturel et fédérateur de l’organisation politique. L’U.C. existe alors bel et bien et se renforce à la faveur des scrutins municipaux, territoriaux et nationaux, lui laissant une marge de manœuvre confortable dans la gestion des affaires publiques et dans l’accomplissement de son œuvre politique.

Copyright. Olivier Houdan. Septembre 2006


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