Nouméa, le 30 septembre 2014
Monsieur le Premier Ministre,
Vous avez convié nos représentants à participer à un Comité des signataires de l’Accord de Nouméa le 3 octobre prochain sur la base d’un ordre du jour que nous a communiqué M. Vincent Bouvier, représentant de l’Etat en Nouvelle-Calédonie. Malgré la décision de notre mouvement de ne pas y participer, permettez-moi de vous faire part des réflexions que suscite à l’Union Calédonienne chacun des sujets de cet ordre du jour.
L’élaboration des listes électorales spéciales
La question du corps électoral a été une préoccupation prioritaire des Kanak à partir du moment où ils purent enfin accéder à l’exercice de ce droit fondamental dans leur pays, au lendemain de la 2ème Guerre Mondiale. Vous n’êtes pas sans ignorer qu’elle fût une des principales raisons qui ont conduit les indépendantistes à boycotter les élections de 1984, puis celles de 1988 et le référendum de 1987, considérant que la composition du corps électoral visait à minorer leur représentativité dans le pays et donc à les écarter des instances de décision et de gestion institutionnelle. Cela s’inscrivait à l’époque, dans l’esprit de la directive du 19 juillet 1972 de M. Pierre Messmer, Premier Ministre : « A long terme, la revendication nationaliste autochtone ne sera évitée que si les communautés non originaires du Pacifique représentent une masse démographique majoritaire. »
L’histoire a démontré que la politique de la France en Nouvelle-Calédonie consistait à installer un « fait majoritaire » en encourageant l’immigration, clairement dans le but de maintenir le Peuple kanak dans une situation minoritaire. La France a bien voulu donner le droit de vote aux Kanaks, mais elle n’était pas prête à les voir gouverner leur pays ! Une logique bien coloniale…
Depuis, les partis indépendantistes ont accepté de signer les Accords de Matignon-Oudinot, puis de Nouméa, car ils intégraient la promesse de sortir le pays de cette logique du « fait majoritaire » en distinguant le droit de vote des citoyens de celui des nouveaux arrivants, lors des élections provinciales et du référendum sur le transfert des dernières compétences régaliennes. Néanmoins, il a fallût attendre la modification de la Constitution française du 23 février 2007 pour établir juridiquement que le corps électoral spécial était « gelé », pour qu’enfin le fondement de la citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie soit fixé, étape indispensable pour évoluer vers la nationalité calédonienne. Depuis, les dysfonctionnements des commissions administratives spéciales chargées du contrôle des listes électorales ont été mis en évidence. Ces dysfonctionnements ont ainsi conduit au maintien sur la liste électorale spéciale de personnes qui ne remplissent pas les conditions telles que définies lors des négociations politiques qui ont abouti à l’Accord de Nouméa.
Pour l’Union Calédonienne, une telle situation constitue un point bloquant : même 15 ans après la signature du 5 mai 1998, cette question fondamentale qui est au cœur de l’Accord de Nouméa n’est toujours pas réglée. Pourtant, au cours des trois derniers Comités des signataires, nos représentants ont interpellé l’Etat sur cette situation, une interpellation restée à ce jour sans réponse. Plus récemment, l’Union Calédonienne a envoyé un courrier dans le même sens à la ministre des Outremers, Mme Pau-Langevin (voir pièce jointe). Un courrier qui n’a été suivi d’aucune réponse.
Il est crucial que la question de la composition des listes électorales citoyennes soit résolue avant d’entamer toute discussion sur le corps électoral « référendaire ». La solution relève exclusivement de la compétence et de la volonté de l’Etat, et il n’y a plus aucun consensus à rechercher sur ce sujet.
Il est important de régler cette question rapidement pour que la dernière phase de mise en œuvre de l’Accord de Nouméa bénéficie de stabilité.
Les transferts de compétences
Dans ce même courrier, en date du 18 août 2014, adressé à Madame la Ministre des Outremers, nous avions aussi exprimé l’insatisfaction de notre mouvement sur la question des transferts de compétences. Si le calendrier des transferts prévu dans l’Accord de Nouméa a été laborieusement et tardivement mis en œuvre, nous émettons aujourd’hui des réserves sur le périmètre et sur les modalités d’accompagnement de certains transferts. En 2012, le gouvernement avait annoncé au Comité des Signataires la mise en place d’une structure interministérielle d’accompagnement des transferts. Nous avions accueilli très positivement cette annonce mais force est de constater que nous n’avons, à ce jour, aucune vision sur l’action de cette structure. Aussi nous demandons qu’un bilan soit fait sur ce processus central de l’Accord de Nouméa.
Concernant les transferts de l’article 27, nous tenons à attirer votre attention sur la rédaction de l’article concerné : « Le congrès peut, à partir du début de son mandat commençant en 2009, adopter une résolution tendant à ce que lui soient transférées, par une loi organique ultérieure, les compétences suivantes… ». La formulation « peut » traduit bien une possibilité octroyée au congrès de la Nouvelle-Calédonie d’exprimer à l’Etat le souhait d’engager les transferts concernés à partir de 2009. Cependant, cette demande ne constitue pas une condition sine qua non pour opérer ces transferts. Pour que l’intervention du congrès soit indispensable au déclenchement des transferts de l’article 27 le législateur aurait employé inévitablement la formule « doit ». En conséquence, même en l’absence de demande du congrès, l’Etat se doit d’engager ces transferts car cela s’inscrit dans la nature même de l’Accord de Nouméa, processus d’émancipation et de décolonisation. C’est un transfert incontournable puisque que le référendum doit porter sur le transfert des « dernières » compétences – selon l’Accord de Nouméa – supposant bien que toutes les autres auront été transférées auparavant…
Il est clair que les transferts prévus par l’article 27 ne sont pas optionnels et que leur mise en œuvre relève de la seule responsabilité de l’Etat.
Enfin, lors des trois derniers Comités des signataires, l’Union Calédonienne n’a eu de cesse de réclamer la mise en place d’un programme de formation permettant à de jeunes Calédoniens d’assumer les compétences transférées et de se préparer à l’exercice des fonctions régaliennes, dans la perspective de leur transfert. Nous réitérons cette demande.
Les sujets relatifs au nickel
A propos de la stratégie minière et métallurgique, l’Union Calédonienne reste sur la ligne qu’elle a défendue lors des trois derniers Comités des signataires, tout au long des réunions du Comité stratégique industriel et au sein de la conférence des présidents.
Pour l’Union Calédonienne,cette stratégie ne peut se limiter à un simple accompagnement des entreprises, à capitaux publics ou privés, ni même à une coordination des stratégies de groupes industriels. Il estindispensableque les principes directeurs de cette stratégie et la gouvernance de ce secteur économique soient définis et exercés au niveau du pays, car l’objectif est de permettre à notre pays de maximiser durablement les retombées du secteur et de lui permettre de prendre toute sa place au sein du marché mondial du nickel.
Sur la gouvernance du secteur mine-métallurgie, l’Union Calédonienne réaffirme que le contrôle et la maîtrise de la valorisation de notre ressource Nickel et de toutes les autres richesses doit incomber au pays au travers d’une « entité Pays » – dont le socle pourrait être la STCPI – pour une exploitation équitable et durable cherchant en premier lieu le développement local (particulièrement au bénéfice des communes minières et des tribus) et respectant les intérêts stratégiques du pays.
S’agissant de la mise en œuvre de l’Accord de Bercy, l’Union Calédonienneconsidère que le Comité des signataires doit prendre la décision d’augmenter à 50.1% la part de STCPI dans le capital de la SLN, concomitamment à l’entrée de la province Sud au capital de la SMSP.
Pour l’Union Calédonienne, ces étapes doivent aboutir à la création de structures permettant le contrôle des réserves minières et de leur exploitation. Le pays doit maîtriser sa principale filière industrielle, depuis l’extraction des matières premières, de leur valorisation industrielle et jusqu’à leur commercialisation.
L’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie
Enfin, sur la question de l’avenir institutionnel, la position de l’Union Calédonienne est évidente et constante : l’Accord de Nouméa doit s’appliquer jusqu’à son terme. A l’issue des 20 années d’application de l’Accord de Nouméa, soit en 2018, le référendum sur l’accession du pays à sa pleine souveraineté doit être organisé. L’Union Calédonienne reste disponible pour discuter des modalités d’organisation de la consultation et des mesures pour préparer le pays à l’exercice de sa souveraineté.
L’Union Calédonienne réaffirme que l’accession du pays à la pleine souveraineté par la voie démocratique est la seule solution pour garantir à la Nouvelle-Calédonie un avenir de paix, de stabilité et de prospérité. Il s’agit de gagner ce « pari sur l’intelligence », que notre regretté Président Jean-Marie Tjibaou avait exprimé pour qualifier la signature de l’Accord de Matignon. Le pari de parvenir, enfin, à une décolonisation réussie, pour le bien de nos deux peuples.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de ma haute considération.
Le Président de l’Union Calédonienne
M. Daniel Goa
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