Débat d’orientation budgétaire 2016 : le temps des restrictions…

Séance DOB

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« Dans un délai de deux mois précédant l’examen du budget primitif, un débat a lieu au congrès sur les orientations budgétaires de l’exercice ainsi que sur les engagements pluriannuels envisagés. » C’est en ces termes que la Loi organique, dans son article 84.2, impose au congrès qu’il procède annuellement à un débat d’orientations budgétaires, avant l’examen du budget primitif. Le congrès de la Nouvelle-Calédonie s’est donc plié à cet exercice le jeudi 29 octobre 2015, sur la base d’un projet de budget de rigueur, avec en toile de fond des perspectives économiques plutôt moroses…

 

Un chiffre symbolise à lui seul l’effort conséquent que la Nouvelle-Calédonie devra consentir pour son budget propre en 2016 : 40 milliards de dépenses au lieu de 50 milliards pour l’année précédente.

 

Le rapport de présentation du débat d’orientations budgétaires explique que le pays subit les effets de deux tendances contraires qui prennent le budget du pays en ciseaux :

 

— Une forte progression des dépenses des administrations publiques qui ont doublé en 10 ans et des dépenses de prestations sociales qui se sont accrues au rythme de 8,5% par an depuis 2000.

 

— La fin des chantiers métallurgiques et des grandes infrastructures, la stagnation des transferts de l’Etat depuis 2008, la crise des cours du nickel et la faiblesse de nos secteurs exportateurs hors nickel, autant de facteurs qui pèsent sur l’activité de notre économie.

 

Face à de tels constats, les débats du 29 octobre furent parfois vifs, parfois techniques, mais ont fini par ramener les élus calédoniens vers la réalité : nous n’avons pas su anticiper cette situation et il est temps de gérer les finances du pays avec plus de rigueur. Pour leur part, les élus UC-FLNKS ont fustigé la dilapidation des recettes fiscales exceptionnelles encaissées par le pays pendant les années 2000-2011 et le bilan de la gestion des majorités non-indépendantistes qui se sont succédées à la tête du pays jusqu’à présent…

 

Mesdames, Messieurs, chers collègues.

17 ans après la signature de l’Accord de Nouméa, moins de 3 ans avant la consultation des Calédoniens sur l’avenir institutionnel du pays, nous sommes appelés à nous prononcer sur les orientations du budget 2016 qui par bien des aspects, mérite d’être qualifié de budget de crise.

 

Sans prétendre faire une analyse exhaustive et approfondie de l’évolution économique et budgétaire du pays, nous avons le devoir de dire aux Calédoniens que cette situation aurait pu être évitée et qu’il nous revient aujourd’hui d’identifier les erreurs commises et les occasions que nous n’avons pas su saisir.

 

Ce qui est certain, c’est que nous n’accepterons pas qu’au-delà des effets de la conjoncture économique maussade, on invoque le processus d’émancipation issu de l’Accord de Nouméa pour expliquer nos difficultés budgétaires actuelles. Nous en sommes là à cause d’un mode de gestion des affaires publiques sur lequel les indépendantistes n’ont jamais eu d’influence déterminante, la conséquence du fait majoritaire.

 

Une volonté évidente de freiner l’application de l’Accord de Nouméa durant les premières années de sa mise en œuvre, une gestion « à reculons » des transferts de compétences et des réformes, l’absence totale de gestion prévisionnelle, un opportunisme électoral à courte vue sont autant de causes profondes de la situation à laquelle nous nous heurtons aujourd’hui. Ce qui nous conforte dans l’idée que la majorité en place n’a jamais et n’aura jamais l’intention de pousser les calédoniens à la responsabilisation mais au contraire de les cantonner l’éternel assistanat par l’instrumentalisation de la peur du lendemain.

 

Le rapport du débat d’orientation met en exergue l’effet ciseau qui pèse sur la procédure d’élaboration budgétaire et qui résulte d’une progression plus rapide des dépenses par rapport à celle des recettes. Cette progression des dépenses budgétaires s’explique clairement par le coût de fonctionnement de nos administrations qui a doublé en 10 ans et par la prise en charge par la Nouvelle-Calédonie d’une partie des dépenses sociales que notre système ne parvient plus à financer. Ainsi, ces dépenses de protection sociale ont augmenté de 13% par an entre 2000 et 2014 et pratiquement doublé entre 2010 et 2014, alors que dans le même temps, les recettes affectées (TSS, CSA…) progressaient deux fois moins vite, ce qui a nécessité l’apport de subventions d’équilibre par la Nouvelle-Calédonie à hauteur de 2 milliards en 2013 et 5 milliards en 2014… Et dans ce contexte de diminution des recettes, il a été encore décidé d’attribuer la taxe des jeux au seul profit de la Province Sud, soit une amputation de plus de 3,5 milliards des recettes du budget de la Nouvelle-Calédonie avant répartition !

 

En parallèle, de 2002 à 2007, la Nouvelle-Calédonie a connu une période de prospérité économique exceptionnelle qui lui a permis de bénéficier d’un quasi-doublement de ses recettes fiscales, passant de 74 milliards à 141 milliards. Une progression largement tirée par l’IS 35, l’impôt sur les sociétés minières et métallurgiques qui a été multiplié par 47 entre 2002 et 2007, passant de 500 millions à 23,5 milliards en 2007.

 

L’année 2007 fût une bonne surprise grâce à l’effet conjugué de la construction des usines du Nord et du Sud et la croissance prononcée d’un de ces fameux cycles du marché du nickel. Mais 2007 restera une année d’exception comme l’illustre le cours du LME qui, malgré un beau rebond en 2010, n’a cessé de décroître jusqu’aux valeurs actuelles, très en deçà des coûts d’exploitation de nos usines.

 

Compte tenu de ces faits, nous réitérons les constats suivants :

 

— le pays n’a pas profité des périodes budgétaires favorables pour constituer des excédents pouvant lui permettre de mener une politique contracyclique lorsque la conjoncture est défavorable, comme aujourd’hui.

— L’impact financier de l’ouverture des nouveaux programmes sociaux en faveur de nos anciens et du handicap, dont nous ne remettons pas en cause le bien-fondé, a été mal évalué et mal anticipé,

— Les réformes indispensables à la modernisation de notre économie, en particulier la réforme globale de la fiscalité, ont fait les frais de la compétition électorale,

— La réforme de la fonction publique, l’évaluation des politiques publiques et la réorganisation de notre administration se font attendre,

— Le principe de sincérité budgétaire a parfois été « oublié » comme l’atteste encore le courrier de M. le Haut-Commissaire en date du 5 octobre 2015,

— Le pays pâtit d’un manque de gestion prévisionnelle et de prospective pouvant lui permettre de mieux se préparer aux retournements de conjoncture et aux défis de notre siècle.

 

Cette succession de manquements, qui est à mettre au bilan des majorités non-indépendantiste qui se sont succédées depuis plus de 40 ans dans nos institutions, entretient un sérieux doute dans nos rangs : y a-t-il une volonté d’entretenir le pays dans une situation de vulnérabilité financière et budgétaire afin d’influencer les Calédoniens au moment de la consultation sur l’avenir institutionnel ?

 

Nous venons de faire état du processus qui nous a progressivement conduits à cette situation budgétaire catastrophique. Prenons acte et avançons. Nous sommes un pays en construction et nous avons l’obligation de nous projeter au-delà de 2018. Préparons un avenir meilleur pour nos générations futures, faisons les réformes dont le pays a besoin pour accéder à sa pleine souveraineté ! Cessons les mesures « à la petite semaine », voire « à la tête du client » qui ne sont souvent que des pansements. Voyons loin, beaucoup plus loin.

 

La loi impose d’interroger le congrès sur les orientations budgétaires mais dans un tel contexte, la première orientation qui s’impose, c’est bien sûr de retrouver un équilibre en contractant le budget de fonctionnement de la Nouvelle-Calédonie. Cependant, nous veillerons à ce que les restrictions ne soient pas imposées selon la seule logique comptable et que l’on mette de la progressivité dans leur application à chaque fois que cela est possible. En effet, nous considérons qu’il faut au préalable évaluer sérieusement les impacts économiques et sociaux des réductions budgétaires envisagées afin d’éviter de générer de nouveaux déséquilibres aux conséquences financières toujours plus lourdes… A ce propos : qu’en est-il des bilans économiques et sociaux des mesures fiscales tant pour le BTP que pour la compétitivité des entreprises prises depuis juin 2014 ? Avons-nous des fiches d’impacts qui nous permettrons de nous aider pour décider de proroger ou pas ces mesures ?

 

Nous demandons que les réformes soient plus ambitieuses, plus dynamiques et menées à partir d’un large dialogue pour en garantir l’efficacité, en particulier en ce qui concerne la réforme de notre fiscalité. Il faut en effet arrêter d’instrumentaliser politiquement ces sujets, comme ce fût le cas avec l’agenda partagé, en ignorant tout le travail accompli auparavant (Accords économiques et sociaux, recommandations des rapports Lieb et Wasmer, travaux de la commission spéciale sur la fiscalité…). La situation économique et budgétaire à laquelle nous sommes confrontés montre l’urgence d’aboutir à une réforme fiscale qui se fait attendre, particulièrement dans son volet fiscalité indirecte avec la mise en place de la TGC. Par ailleurs, nous demandons que le système des taxes affectées fasse l’objet d’une remise à plat et qu’on en évalue l’efficacité.

 

Enfin, il est stratégique que les grands chantiers de restructuration soient accompagnés au mieux, car outre le fait qu’ils permettront de fournir des prestations plus efficaces aux Calédoniens, ils portent aussi la perspective d’économies budgétaires sur le long terme. Ainsi, nous suivrons assidument la restructuration de notre secteur santé, de la protection sociale, l’adaptation de notre école aux réalités locales, la mise en œuvre du schéma global des transports et de la mobilité, la rationalisation et la mise en cohérence des politiques publiques et la poursuite du processus de valorisation et de développement sur terres coutumières.

 

Bien entendu, nous sommes soucieux d’aider nos représentants au gouvernement à faire avancer les dossiers dont ils ont la charge. En matière de transport, nous appuyons les recommandations du schéma global des transports et de la mobilité, à savoir :

— la mise en place d’une structure de gouvernance des transports à l’échelle du pays

— la création d’une agence de financement du transport sur la base de l’actuelle ADANC

— l’instauration de délégations de service public dans les transports aérien et maritime

— la mise en place d’une agence des routes

— la création d’une centrale de mobilité

Sur la question de l’aide au transport dont bénéficient les habitants des îles, à l’instar de la totalité des élus de la Province des Iles, nous demandons que cette dépense soit sanctuarisée le temps que l’agence de financement du transport entre en fonction et que la délégation de service public du transport aérien soit opérationnelle. En effet, après quelques années, il apparaît que le dispositif « Continuité Pays » joue un rôle important en matière de rééquilibrage et de désenclavement, ayant des impacts positifs sur la vie des îles, tant sur le plan économique que social et culturel, sans compter qu’il constitue un levier incontournable permettant à Aircal d’équilibrer son compte d’exploitation.

 

En matière d’infrastructures routières, nous préconisons le maintien du niveau des investissements à 3 milliards pour être conformes aux objectifs du PPI routier, pour accompagner le PQSR (Plan quinquennal de sécurité routière) et pour soutenir l’activité économique.

 

Dans le secteur des affaires coutumières, la structuration de l’aménagement des terres coutumières représente un enjeu capital pour le pays et doit être poursuivi pour plusieurs raisons :

 

— Le développement économique des terres coutumières permettra de limiter l’exode rural, notamment vers le Grand Nouméa, en fixant les populations,

— L’aménagement planifié de ces zones, contribuera à réguler le développement d’installations actuellement sans cohérence ou trop dispersées, génératrices de surcoûts importants pour les équipements publics à la charge des collectivités.

— La superficie que représentent les terres coutumières constitue le moyen d’accroître le potentiel économique de certaines communes qui ont du mal à se développer, faute d’espace, sur la côte Est en particulier.

 

Dans le domaine du développement durable, nous regrettons que la COP21 serve simplement de prétexte pour mettre en avant le schéma énergie-climat, aujourd’hui rebaptisé schéma de transition énergétique. Si nous soutenons ce travail, nous n’acceptons pas qu’il serve d’écran de fumée pour nous donner bonne conscience, vis-à-vis de nos voisins insulaires en particulier.

 

Dans le domaine de l’emploi et de la formation professionnelle, la Nouvelle-Calédonie doit s’efforcer de soutenir et d’accompagner les actions et les initiatives mises en place et financées par elle. Parce que, comme vous le savez, ces secteurs, comme l’école, sont les piliers de la démocratie, de la cohésion sociale et de lutte contre les inégalités sociales.

 

Parce que la formation professionnelle a pour but de permettre aux calédoniens et à nos entreprises de répondre aux enjeux et aux défis d’aujourd’hui en donnant au Pays des salariés qualifiés pour avoir des entreprises plus compétitives.

 

C’est la raison pour laquelle, la Nouvelle-Calédonie a retenu l’emploi et l’insertion professionnelle comme secteur de concentration du 11ème FED.

 

Nous voulons donner une priorité à ce public de jeunes qui décrochent (de l’ordre d’environ 600 par an) qui s’excluent chaque année du système scolaire sans diplômes et sans qualifications. Ils constituent un public éloigné de l’emploi tant en termes de qualifications que d’employabilité et ils relèvent souvent de problématiques d’insertion sociale.

 

Pour leur donner une seconde chance, il est important de leur offrir des opportunités d’insertion professionnelle mais également des perspectives d’emploi. Ils pourront ainsi contribuer à la création de richesses au sein des entreprises à charge pour nous de veiller à une meilleure répartition de celle-ci afin de permettre une plus grande justice sociale.

 

Enfin, nous nous étonnons que le rapport que vous nous avez fourni ne fait aucune mention du schéma d’aménagement NC2025. D’autant plus que lors du séminaire NC2025 des 4 et 5 avril 2012, organisé à Poindimié autour du thème de la croissance, en présence de nombreux élus, de représentants de la société civile et du monde économique, le risque budgétaire avait déjà été identifié.

 

Rappelons que le projet de schéma d’aménagement et de développement NC2025 est un document qui puise sa légitimité à la fois de la loi organique de 1999 dans son article 211, mais également dans la démarche participative qui a présidé à son élaboration, car les institutions comme la société civile y ont largement participé.

 

Ce document a vocation à constituer un outil d’aide à la décision au service des élus. En effet, il constitue un exercice de prospective destiné à mieux comprendre l’existant et les évolutions possibles de la société calédonienne afin de bâtir des stratégies de politiques publiques cohérentes et équilibrées à l’échelle du pays.

 

La mise en cohérence s’exercera notamment au travers de la gouvernance. Le schéma NC 2025 pointe en effet la nécessité de renforcer la cohérence et la performance des politiques publiques, propose des choix possibles pour faire évoluer le système institutionnel calédonien vers une meilleure coordination ainsi que la mise en place – lorsqu’ils n’existent pas – de schémas directeurs, d’outils de suivi et de pilotage des politiques publiques. Cette mise en cohérence passe également par la maîtrise de l’interdépendance des politiques publiques.

 

NC2025 impliquera des choix politiques entre les différents scénarios ou alternatives proposés ainsi que la définition des priorités en matière de politiques publiques, ce qui se traduira – n’en doutons pas – par des économies et plus de maîtrise budgétaires.

 

Ce travail a été approuvé par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en novembre 2013 et transmis au Congrès avec le projet de délibération correspondant en décembre 2013. L’ampleur et la qualité du travail réalisé, les enjeux qui y sont attachés ainsi que l’indispensable anticipation et dépassement du court terme plaident pour l’examen urgent du projet de schéma d’aménagement et de développement transmis au Congrès de la Nouvelle-Calédonie.

 

Nous sommes donc interpellés collectivement par la situation budgétaire que traverse le pays. Retroussons nos manches car la situation est difficile mais pas désespérée. On l’a vu, les leviers d’amélioration existent mais nous ne pourrons les faire jouer efficacement que si la collégialité devient effective au gouvernement et si l’ensemble des forces politiques calédoniennes parvient, dans un esprit consensuel, à s’entendre sur les priorités qui permettront de poursuivre la construction d’un pays responsable et solidaire…

Merci.

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